« Vous êtes une pute. »

« C’est dégueulasse. C’est tout. Vous êtes une pute.»

« C’est dégueulasse. C’est tout. Vous êtes une pute.»
Voilà comment, dans les années 80, Serge Gainsbourg, l’un des plus grands compositeurs de pop française s’adresse à Catherine Ringer, jeune artiste qui vient de bouleverser le paysage monotone du rock hexagonal avec son groupe Les Rita Mitouko.

On pourrait se méprendre et s‘imaginer qu’il s’agit-là d’un clash des générations. La star vieillissante, alcoolique et aigrie face à face avec une jeune rockeuse, qui incarne selon ses propres mots « l’aventure moderne ». Pourtant quelque chose de plus profond se dessine derrière cette interview, quelque chose de typiquement français lorsqu’ on aborde la question du sexe tarifée, que ce soit de la prostitution ou du porno.

En discutant avec des personnes de pays voisins, j’entends souvent leur incrédulité quand ils apprennent que la prostitution est si criminalisée, que la ministre du droit des femmes, par exemple, en fait son principal combat : « mais pourtant la France c’est le pays de la romance, de la séduction, des Folies Bergères et du Moulin Rouge ! Toulouse Lautrec ! French Cancan ! Brigitte Bardot ! » et retour a Serge Gainsbourg et ses sulfureux hits des années 60, des Sucettes à l’anis d’Annie au censuré « Je t’aime …moi non plus », ou plus tard ses fantasmes incestueux avec sa fille Charlotte dans Lemon Incest.

A mes yeux, ce court « dialogue » représente la contradiction française quand on en vient à la prostitution : En France, on adore les putes… mais en peinture seulement. Nos modes de vie hors-norme, décadents, bohèmes, outrageux, dangereux, nos talons, maquillages, fouets et nos vies nocturnes et sans compromis sont bons pour la fiction, pour lire au salon en attendant que la soupe refroidisse. Quant aux vraies putes, celles qui tapinent au bois ou les actrices pornos aux dents gâtées, elles, on leur crache dessus. Elles, il faut les abolir.

Serge, qui a fait fortune en se servant de belles femmes et d’adolescentes (Bardot, Birkin, Gall, Hardy…) pour chanter ses mélodies pop (se sachant trop laid pour les chanter lui-même) déteste viscéralement Catherine Ringer qui sans s’en vanter, ni en avoir honte parle de son expérience d’actrice porno. Au-delà du sexisme basique de Gainsbourg, on peut imaginer qu’il la déteste aussi pour être ce qu’il ne sera jamais. Elle est femme publique et pourtant contrairement aux égéries de Gainsbourg, elle ne se sert pas de ses charmes pour vendre de la pop. Avec sa dent pourrie et ses cheveux mal coiffes, elle est la pute libre qui dit aux hommes de se garder leurs normes de beauté et leurs contrats, qu’ils soient nuptiaux ou musicaux : elle est indépendante.

Le discours et l’attitude de Gainsbourg symbolise bien l’attitude française face a la prostitution : hypocrisie absolue d’une société qui a bâti une partie de sa réputation sur une image de libertinage et de liberté sexuelle mais qui pourtant stigmatise et veut réduire au silence celles qui expriment leur expérience d’une sexualité tarifée. Si c’est « osé » de parler de sucre d’orge qui coule dans la bouche d’Annie, par contre « plein de foutre pendant les prises », ça c’est trop graphique, c’est trop réel. « C’est dégueulasse. »

Pourtant, Catherine Ringer aura le dernier mot, artistiquement du moins. Gainsbourg, dans l’album Melody Nelson raconte un épisode dans un bordel « l’hôtel particulier ». La chanson se termine sur des violons symbolisant les cris de jouissance d’une Melody travailleuse du sexe enlacée par un Gainsbourg client. Encore une fois une œuvre artistique capitalisant sur l’univers érotique de la prostitution. Catherine Ringer reprendra cette chanson, en hommage à Gainsbourg et en clin d’œil-revanche à ce navrant épisode télévisuel, en remplaçant les violons métaphoriques par de vrais cris de jouissance.

Avis à tous les abolitionnistes, rassemblement malsain de chrétiens moralisateurs, de féministes fondamentalistes aux dents longues, de flicailles sécuritaires et politicards racistes … vous ne ferez jamais taire les putes. Nous continuerons à baiser, à nous faire payer et à hurler nos cris de jouissance et de rage, dans les rues, les hôtels, les bois et les camionnettes…. Nous vous prévenons : vous n’avez pas fini de nous entendre.